Vous l’avez ressenti à quel âge ce sentiment très fort d’injustice, cette angoisse face à la société de consommation et à l’effondrement du monde ? Comment apaiser cette brûlure dans la poitrine, comment pallier à l’usure et à l’épuisement ? Comment étancher cette sensation d’urgence ? Former un groupe d’esprits animés par les mêmes idéaux, se réunir, discuter, se mettre en mouvement et participer à des actions concrètes pour tenter de changer le monde, voilà l’une des solutions dont on vous parlait déjà dans notre article sur les façons de survivre à l’éco-anxiété.
Pour de nombreux militants, l’engagement est souvent la réponse. Chez Hopaal aussi, nous avons choisi de prendre part à l’action collective, écologique et sociale. Afin de devenir acteurs du changement, il nous a fallu intégrer, voire accepter, un vaste panel d’émotions, de la colère à l’acceptation, et de la détresse émotionnelle à la résilience. Mais peut-on vraiment être heureux en étant écolos ?

“Face au glacier du Mont Blanc, la barre des 30° est franchie, c’est du jamais vu à 1500 m d’altitude”, “On va vers des étés plus chauds, plus secs et des températures anormales”, “Le tourisme spatial au détriment du climat,” … Faute de pluie, les thématiques des journaux télévisés du mois d’août font froid dans le dos. Difficile d’y cueillir quelques réjouissances.
Au sein des bureaux de Hopaal, les pauses déjeuner se transforment régulièrement en hémicycle. On a souvent plus de questions que de réponses. Ces temps-ci, on s’est souvent demandé comment on pouvait porter émotionnellement et durablement le sujet de l’écologie. Comment peut-on aller au-delà de la peur et éviter la paralysie ? Comment surmonter la contemplation de notre propre impuissance ? Comment rester à distance des faits lorsqu’on est nourris par tout un tas de chiffres glaçants et d’informations toujours plus ahurissantes ? En s’inspirant de pensées d’écrivains et de philosophes ainsi que de travaux de journalistes sensibles à la problématique environnementale et sociale, nous allons tenter de répondre à nos multiples interrogations et mettre des mots sur les montagnes russes qui agitent nos quotidiens et nos esprits. Et pourquoi pas, sur la route, patauger gaiement dans des zones de calme et de joie ?
Notre idéal ? Rester positifs sans pour autant abandonner notre discours écologique
Il y a quelques années, l’émission du zapping rassemblait les images les plus marquantes de la télévision, toutes chaînes confondues, pour en diffuser une séquence unique de quelques minutes. Après avoir été évincé de Canal + par son principal dirigeant, le fondateur et rédacteur en chef Patrick Menais fondait Vu. L’objectif de l’émission : “proposer un regard impertinent et libre sur le monde de l’image”; une véritable résistance idéologique. Aujourd’hui diffusée sur France 2 et disponible en ligne, l’émission Vu nous offre non seulement une vue imprenable sur le traitement de l’information par la télévision mais aussi, et de manière saisissante, sur notre impact sur la terre. Par effet de juxtapositions d’images, le spectateur se retrouve plongé dans l’actualité incandescente du monde. Cet été, la guerre, la canicule, les incendies, la sécheresse, la misère du monde, le béluga dans la Seine, le rapport du GIEC, la pollution marine et la révocation du droit à l’avortement font la Une des programmes d’information. Un visionnage qui peut parfois s’avérer anxiogène. Alors, entre angoisse, peine, peur, colère, révolte et fatalisme, comment faire face ?
En somme, “comment rester écolo sans finir dépressifs” ?
Une question que s’est sérieusement posée Laure Noualhat dans son livre homonyme paru aux éditions Tana : “L’éco-anxiété est un symptôme de bonne santé. Qu’on ait des sensations très fortes vis-à-vis de nos questions environnementales, enfin !” déclarait-elle durant les journées d’été des écologistes en août 2020.
Selon la journaliste environnementale, bien que l’éco-anxiété prenne sa source dans la façon dont l’information nous est continuellement proposée, elle proviendrait surtout d’une pleine conscience de la réalité palpable, brute et non édulcorée : la Terre est une planète aux ressources finies, il nous faut la préserver. Un constat déjà fait en 2015 par Pablo Servigne, théoricien de l’effondrement qui présageait à travers son livre “Comment tout peut s’effondrer” un point de rupture et la fin de la civilisation industrielle. Le concept de collapsologie était né : une théorie de l'effondrement global et systémique de la civilisation industrielle, considéré comme inéluctable à plus ou moins brève échéance, et des alternatives qui pourraient lui succéder.
Puisqu’avoir conscience que ça va mal est un indicateur de bonne santé mentale, vous, esprits déconstruits et obsédés par l’état du monde qui êtes en train de lire cet article, avez donc de quoi vous réjouir. Vous vous situez présentement au niveau de la première étape de ce qui, selon Laure Noualhat et Pablo Servigne, s’apparente à faire le deuil de notre monde.
“Il faut concevoir la résilience écologique comme un processus de deuil. Notre monde, bâti autour de l’idée de croissance infinie, n’est plus viable. L’avenir tel que les pays se l’imaginaient n’aura pas lieu. Mais il est possible de passer de la colère à l’acceptation et d’écrire une nouvelle histoire qui aura du sens. Ce déclic est une vraie libération qui permet de se débarrasser de la peur et de la colère pour déboucher sur un horizon plus serein.” Pablo Servigne, lors d’une interview donnée au magazine Le Temps
L’étape 2 du processus proposé par Laure Noualhat convoque l’idée d’une “écologie intérieure" et fait notamment écho aux propos du philosophe norvégien Arne Naess, père de l’écologie profonde qui souligne l’importance de la joie face aux problèmes du monde. Élu premier secrétaire du siège norvégien de Greenpeace, Arne Naess défend “le droit égal pour tous de vivre et de s'épanouir”. Selon lui, toute idée est “en chemin”. Rien ne serait donc ni fini ni résolu. La solution n’existerait jamais vraiment en tant que telle, elle serait en construction, en train de se forger, sans cesse en évolution, continuellement adaptable à son moment présent. L’écologie serait donc, littéralement, un mouvement en plein mouvement. Et étrangement, prendre en considération cet état mobile des choses nous allège de quelques angoisses.

L’humour permet de braver ce qui nous effraie et la joie invite à agir
“Soyez heureux de tomber en écologie aujourd’hui, laissez-vous traverser et ne rester pas seuls.“ explique aussi Laure Noualhat qui colle à l’effet de groupe des bienfaits salvateurs. Pourquoi l’action collective fonctionne ? Parce que nous sommes en pleine action, parce que nous sommes entourés d’autres personnes, elles-mêmes traversées par leurs propres pensées, et parce que nous trouvons du sens à ce que l’on fait. Et avec ça, il y a l’humour, l’ironie et le second degrés, appelez-ça comme vous voulez. “L’humour, c’est ce qu’il nous reste”, dit-elle. “Ça met à distance, ça permet d’embrasser et de braver ce qui nous effraie. C’est une manière de survivre.” justifie la journaliste environnementale qui en profite pour citer Boris Vian.
“L' humour, c'est la politesse du désespoir.” Boris Vian
Au sein même de la citoyenneté, de l’écologie, de la politique, voire au coeur de l’industrie textile (coucou), militent des gens profondément heureux qui ont choisi de prendre les choses en main pour ne plus subir, qui ont pris la décision d’être au devant des choses et de proposer des alternatives. Cette démarche écologique pro-active génère un engouement positif, dynamique et joyeux. En effet, alors que l’action et la connaissance sont porteuses de liens, de faire ensemble, de solutions, du sentiment inégalable de faire partie d’une seule et même famille, elles sont aussi sources de joie. Et à petite échelle avec Hopaal, nous avons pu le constater : échanger avec notre communauté fait naître des possibilités.
“La joie est la bonne invitation qu’on peut faire aux gens, c’est le moteur qui fonctionne”, explique Eric de Kermel, écrivain et directeur de Terres Sauvages, au micro de Marine Tondelier. “À partir du moment où on se met en route, on trouve du sens à notre vie. Il n’existe pas d’autre temps que le présent, c’est le temps que nous vivons.”
Visiblement, on peut être joyeux quand on a des convictions écologiques. Comment renoncer à la surconsommation et à toute idée de confort superflu sans pour autant avoir à renoncer à la joie ? Voici quelques conseils pour célébrer et cultiver la joie au sein même d’un quotidien militant :
- s’entourer de personnes partageant des intérêts communs et ainsi générer un enthousiasme collectif
- s’inscrire dans une association engagée dans la protection de l'environnement, dans la lutte contre la pauvreté, pour l’inclusion sociale ou une association LGBTQIA+, ... N’hésitez pas à identifier en commentaires ci-dessous le nom des associations près de chez vous (Ville, département, nom de l’association)
- passer à l’action : il existe une réelle nécessité de prise de conscience et de solutions collectives pour vivre cet effondrement
- modifier ses habitudes de consommation, trouver des alternatives écologiques et durables
- s’émerveiller devant les beautés naturelles offertes par le vivant. C’est actuellement la période des Perséides. À la nuit tombée, levons les yeux au ciel
- se réjouir des avancées, des luttes, des rassemblements, ainsi que des victoires sociales et écologiques
- lire des livres traitant du sujet (liste non-exhaustive en bas de page)
- piocher au compte-goutte des bonnes nouvelles via le mouvement Good News
À travers des mobilisations collectives, des luttes environnementales non-violentes et des choix de consommation conscients, soyons ensemble joyeusement radicaux.
Oui, ensemble avec Hopaal, créons du lien social afin de propager de l’engouement, donc de l’espoir. Et l’espoir, Eric de Kermel le perçoit au sein de la jeune génération. “Il y a chez les jeunes des ressorts, des énergies, une rapidité, des outils, parfois une agilité intellectuelle bien plus forte que la mienne” confie l’auteur de l*’Abécédaire de l'écologie joyeuse*, un plaidoyer pour une écologie joyeuse publié aux éditions Bayard.
Alors que nous connaissions l’importance du rôle de l’action collective, nous savons aujourd’hui la valeur de l’enthousiasme dans l’engagement militant. Raconter l’écologie et la rendre inspirante malgré les enjeux de justice sociale et climatique, s’interroger sur le monde d’aujourd’hui de façon enthousiasmante, le tout avec lucidité, un véritable défi que Hopaal essaie chaque jour, grâce à vous et avec vous, de relever.

Sources :
“Une écosophie pour la vie : Introduction à l’écologie profonde” par Arne Naess (Seuil, 2017)
“Abécédaire de l'écologie joyeuse” par Eric de Kermel (Bayard Éditions, 2020)
“Comment tout peut s’effondrer”, par Pablo Servigne & Raphaël Stevens (Seuil, 2015)
Pour en finir avec l’éco-anxiété avec Laure Noualhat, France Inter
Comment être écolo sans pour autant tomber en dépression ? France Inter
De l’éco-anxiété à la joie : les émotions de l’écologie, YouTube
Pablo Servigne: “Il faut faire le deuil de notre monde pour écrire une nouvelle histoire”, Le Temps
Magazine Grain, Volume II, “Joie”